Interview avec la Commissaire Jourová: « l’UE n’est pas encore un paradis pour les femmes »
Dans un entretien accordé au CCRE, la Commissaire en charge de la Justice, des consommateurs et de l’égalité des genres, Věra Jourová, propose des pistes pour faire de l’Europe le continent où la situation des femmes est la meilleure.
Cet entretien arrive à point nommé : en juin prochain à Bilbao, des centaines de maires et élus locaux se réuniront à l’occasion de la conférence du CCRE, un rendez-vous incontournable pour celles et ceux qui ont à coeur de rendre la société plus respectueuse de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion.
Certains observateurs soutiennent que l’Europe avance « à pas de tortue » sur la voie de l’égalité. Que fait la Commission en ce sens ?
La Commission a établi un programme de travail qui prendra fin en 2019. Celui-ci se concentre sur une série de domaines tels que l’égalité salariale, l’égalité dans la prise des décisions et la violence sexuelle et sexiste.
Pour avancer sur la voie de l’égalité, une valeur fondamentale de l’Union, nous devons agir conjointement dans tous ces domaines. Mais soyons clair, une action isolée au niveau de l’UE ne suffira pas pour faire la différence. Nous devons agir ensemble, à tous les niveaux national, régional, local. Nous devons unir nos forces pour endiguer la discrimination à l’encontre des femmes.
Dans les pays qui peinent à faire de l’égalité une réalité, quelles solutions proposez-vous pour soutenir les initiatives locales ?
Tout d’abord, je voudrais souligner que le progrès est possible. Si vous consultez l’Index de l’égalité femmes-hommes de l’Institut européen EIGE, vous verrez que l’Italie, par exemple, a augmenté de 12 points depuis 2005. C’est trois fois plus vite que la moyenne européenne.
Les collectivités territoriales ont un rôle fondamental à jouer. Elles peuvent, par exemple, adapter leurs infrastructures pour assurer la sécurité des femmes, Elles peuvent encore mettre en place des structures d’accueil pour les enfants ou des refuges pour femmes victimes de violence conjugale. Par conséquent, les maires et les décideurs locaux sont de véritables acteurs de terrain en capacité d’apporter des solutions concrètes à tous ces problèmes.
La Commission européenne soutient-elle les collectivités sur le terrain ?
Nous soutenons la société civile locale à travers différents programmes de financement, parmis lesquels le programme « Droits, Egalité, Citoyenneté ». Si nous le faisons, c’est précisément parce que nous sommes bien conscients que les acteurs locaux connaissent très bien la réalité sur le terrain et savent quelles mesures sont les plus pertinentes.
En même temps, les problématiques sont souvent similaires partout en l’Europe. Et chaque initiative peut s’inspirer des expériences menées ailleurs. A mon avis, les collectivités devraient mieux saisir cette opportunité, non seulement pour agir localement, mais aussi pour partager leurs expériences et coopérer en faveur de l’égalité.
Existe-t-il d’autres fonds pour soutenir les projets allant dans ce sens ?
L’UE soutient de longue date les initiatives destinées à promouvoir l’égalité. Un bon exemple est celui du lauréat du prix Regio Stars 2017. Soutenu par le Fonds social européen (FSE), un réseau de centres d’aide, dans la région de Murcie en Espagne, a soutenu les femmes victimes de violence sexuelle en leurs fournissant des formations pour accroître leurs chances de décrocher un emploi.
Je profite de l’occasion pour annoncer que nous avons récemment publié un appel à propositions pour soutenir les initiatives locale dans la lutte contre les violences sexistes et la maltraitance sur mineur. J’invite les villes et régions européennes à soumettre des projets !
Parlons législation. Que nous réserve l’après 2019?
Plusieurs projets de lois sont sur la table. Premièrement, la Commission a lancé une initiative visant à promouvoir « l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants qui travaillent ». Elle comprend une série d’actions pour faciliter l’intégration des femmes sur le marché du travail ainsi que la réconciliation entre le travail et la vie privée pour les femmes et les hommes. La question du congé payé pour les pères après la naissance de leur enfant consititue dans ce cadre une pierre d’achoppement.
Nous avons également mené d’intenses discussions sur l’adoption de la « Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ». Celle-ci constitue le premier instrument en Europe établissant des normes juridiquement contraignantes pour prévenir la violence sexiste, protéger les victimes et punir les auteurs. Une fois que l’UE aura adhéré à cette convention, sa mise en œuvre constituera une priorité pour l’après 2019.
Nous continuons également à pousser pour l’adoption de notre proposition visant à augmenter le pourcentage de femme au sein des conseils d’administration des sociétés cotées de l’UE, compte tenu des lacunes persistantes au sein des conseils d’administration.
Enfin, je voudrais mentionner notre plan d’action sur l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Si ce plan ne réduira pas le fossé salarial en un coup, il est clair que d’autres actions sont à prévoir parallèlement, y compris peut-être une action législative visant à garantir la transparence dans les rémunérations en tant que conditio sine qua non pour détecter l’écart salarial persistant entre les femmes et les hommes.
Quelle est votre vision sur l’avenir de l’Europe et les politiques d’égalité ?
L’égalité entre les femmes et les hommes est un droit fondamental, ce qui veut dire que les discriminations fondée sur le genre n’ont pas leur place dans notre Union. Nous ne serons crédibles dans le monde que si nous respectons nos obligations et valeurs fondamentales.
La Journée internationale des droits des femmes constitue en ce sens une excellente occasion pour rappeler qu’aucun pays au monde n’a encore atteint l’égalité. Et l’Union européenne n’est malheureusement pas encore un paradis pour les femmes, même s’il faut reconnaitre que leurs droits sont mieux respectés que dans d’autres parties du monde.
Des événements récents, comme le mouvement #metoo, montrent le malaise général de la société. Ils mettent en lumière le cas de nombreuses femmes qui subissent les effets du déséquilibre des relations de pouvoir. En 2018 et 2019, notre travail continue même s’il est vrai que nous préparons le terrain pour l’après 2019. Le renforcement de la position des femmes constitue un élément clé pour dessiner un avenir commun de l’Europe.